"Clément Oubrerie se tire habilement de l’exercice de l’adaptation en parvenant à garder dans cette version dessinée du roman de Queneau toute la saveur et la vigueur de l’oeuvre d’origine. Facétieuse et dégourdie, sa Zazie dégage une fougue qui inonde les soixante-dix pages de cet album au rythme trépidant. L’esthétique est en parfaite adéquation avec le dynamisme de la petite provinciale venue passer quelques heures dans la capitale. Oubrerie dessine un monde totalement différent de celui qu’il développe pour ‘Aya de Yopougon’ : son trait se fait plus nerveux, collant astucieusement à la personnalité de son héroïne. Les couleurs, expressionnistes, évoluent au fil des nombreux changements de ton de l’intrigue, qui passe de la fable légère aux inquiétantes histoires de meurtre ou d’abus sexuel en un claquement de doigts, le crayon d’Oubrerie devenant alors rageur et sombre. De Queneau, le comparse de Marguerite Abouet a su tirer toute la sève sans en perdre une miette. Les mots du cofondateur de l’Oulipo sont bien là, tantôt farfelus, tantôt poétiques, louvoyant entre différents niveaux de langage, si bien que l’on se demande même quelles scènes Oubrerie a-t-il bien pu couper tant il ne semble rien manquer. Un album enlevé, qui dénote un vrai travail d’adaptation. En pleine mode du recyclage des oeuvres littéraires en bande dessinée, c’est à signaler. Et à féliciter."
Mikaël Demets
Prendre des risques
INTERVIEW DE CLEMENT OUBRERIE
Propos recueillis par Mikaël Demets pour Evene.fr - Juin 2008
Après Agnès Maupré, Mathieu Sapin ou Pascal Rabaté, Clément Oubrerie, le crayon de la série 'Aya de Yopougon', se plie au jeu de l'adaptation pour la collection Fétiche de Gallimard. Il a porté son choix sur 'Zazie dans le métro' de Raymond Queneau, et propose la version bande dessinée d'un texte cinquantenaire qui n'a pas pris une ride.
Pourquoi avoir porté votre choix sur la Zazie de Queneau ?
Pourquoi ne pas avoir directement adapté Vian ?
Je ne me sentais pas de faire du Vian. Je pense que c'est très difficile à mettre en bande dessinée. J'avais même essayé une fois, pendant mes études, c'était extrêmement délicat. Peut-être devrais-je réessayer aujourd'hui ? 'Zazie…' par contre s'y prête très bien : c'est un récit linéaire qui se déroule sur un week-end. J'aime beaucoup cette manière qu'a l'intrigue de démarrer sagement, et ensuite de partir complètement en vrille. L'effet de surprise du récit est très réussi.
'Zazie dans le métro' a déjà été illustré, adapté au cinéma également. Cela vous a compliqué la tâche d'avoir ces images en tête ?
Comment fait-on pour respecter au mieux le récit sans tomber dans le texte illustré ?
J'ai pris le problème de manière plus générale, en travaillant sur la structure plutôt que sur les dialogues. Il fallait que ça rentre dans le format de la bande dessinée, poussé à soixante-dix pages, ce qui est déjà beaucoup au vu de critères bassement commerciaux. Il a fallu que je travaille sur la structure : je ne devais garder que ce qui était vraiment indispensable au récit. A moi d'adapter le rythme à celui de la bande dessinée, qui permet par exemple des cases sans texte. Je n'avais évidemment pas la prétention de réécrire Queneau : quand j'ai changé le texte, c'était à cause des coupes qui demandaient une réécriture pour la cohérence. Mais je n'ai pas cherché à couper ni à réécrire. Par contre j'ai dû élaguer : dans un roman, il peut y avoir une scène de vingt pages dans une cave avec trois personnages qui discutent. En bande dessinée, non : à la troisième page le dessin n'apporte plus rien, et il faut réfléchir à une autre solution.
Comment avez-vous abordé la langue de Queneau ?
Quelles étaient les principales différences entre ce travail à partir d'un texte et votre travail avec un scénariste ?
Avec Marguerite (Abouet, scénariste de 'Aya de Yopougon', ndlr), le processus de travail est différent : sa manière d'écrire est déjà une petite bande dessinée, elle travaille en pensant à la pagination et au découpage. Cette base est finalement proche de la bande dessinée qui en sortira. Alors qu'avec 'Zazie…', on part d'un texte littéraire. Cela représente beaucoup plus de travail que de partir d'un scénario, un vrai travail d'édition complètement nouveau pour moi. On doit transformer la nature du projet, passer d'un roman à une bande dessinée, et le roman n'a pas du tout été écrit pour ça. Environ les deux tiers du texte originel disparaissent dans mon adaptation. J'ai dû réaliser une première version de cent vingt pages, puis une de quatre-vingt-dix, et enfin celle-ci, de soixante-dix pages. C'est plus fatigant !
Avez-vous appris quelque chose avec ce nouvel exercice ?
Qu'en est-il d''Aya' ? Le quatrième tome est en préparation ?
C'est bien, Zazie vous aura entraîné...
Oui, ça me fait une bonne base. Et puis dans le 'Aya', l'histoire se passe dans le métro. C'est un peu 'Aya dans le métro'. En fait je mens quand je dis que je veux faire quelque chose de nouveau à chaque fois… (rires)
Pour finir, où en est l'adaptation cinéma d''Aya' ?
La boîte de production en charge du 'Chat du rabbin' de Sfar, que j'ai cofondée avec Joann, s'occupe du projet. 'Le Chat du rabbin' est en cours de fabrication, 'Aya' lui n'est qu'au stade du financement. Ce sera donc un film d'animation, l'adaptation des deux premiers albums, je pense. On mettra en avant les acteurs, puisque la première chose que l'on fera sera l'enregistrement des voix. On espère pouvoir lancer la production l'année prochaine et le sortir en 2011…
(1) Définition d'Alfred Jarry : "La pataphysique est la science des solutions imaginaires, qui accorde symboliquement aux linéaments les propriétés des objets décrits par leur virtualité."
"Chez Gallimard sort également ces jours-ci une bande dessinée adaptée de Zazie mise en images par le très doué Clément Oubrerie. Il y a toujours une ambiguïté qui consite à vouloir adapter en bande dessinée un monument de la littérature. Pour quelle raison décliner Zazie ? Parce que c'est une sorte de jeu de rôles supplémentaire, c'est la centième variation possible (le centième exercice de style), une centième modulation pour une même partition. Le texte est magnifiquement restitué, le dessin y est savoureux et les dialogues toujours aussi truculents ; c'est un exercice de montage du texte comme on l'aurait fait pour le cinéma. C'est réussi et c'est drôle. Être adapté en bande dessinée est une façon singulière de caracoler dans la postérité. Bien que Queneau parlait de celle-ci en termes choisis : "A la postérité, j'y dis merde et remerde et reremerde."
Véronique Ovaldé
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Zazie dans le métro
Par Clément Oubrerie d’après Raymond Queneau.
Gallimard, 15 €, le 19 juin.
La mère de Zazie ayant décidé de passer deux jours avec son nouveau jules, elle laisse sa fille à son oncle Gabriel dès leur arrivée à Paris. Le tonton est décidé à balader sa nièce aux quatre coins de la capitale, mais Zazie, gamine effrontée aux réparties fulgurantes, s’en fout : ce qu’elle veut, c’est aller dans le métro ! Lequel est en grève… Commence alors une farandole entre sites touristiques et Paris by night, ponctuée de rencontres hautes en couleurs. En 1959, Zazie dans le métro fait de Raymond Queneau, membre du Collège de Pataphysique et futur cofondateur de l’OuLiPo (Ouvroir de Littérature Potentielle), un véritable auteur populaire. Cinquante ans plus tard, son roman n’a pas pris une ride et reste un ouvrage viscéralement réjouissant, notamment grâce à des dialogues d’une richesse rare, faisant poétiquement se rencontrer un français littéraire et la langue de la rue. Ce livre est d’autant plus appréciable aujourd’hui qu’il explose avec énergie tous les carcans du politiquement correct ! Le trait fin et la mise en scène dynamique de Clément Oubrerie collent parfaitement à cette liberté de ton. Délaissant pour un temps Aya de Yopougon - l’excellente saga ivoirienne qu’il signe avec Marguerite Abouet chez le même éditeur -, le dessinateur reste d’une grande fidélité au texte original de Queneau tout en imposant son style graphique. Dès les premières images, il nous lie aux pas de Zazie et à ses attachants compagnons de vadrouille. Un bonheur !
Bodoï